Le « bazooka monétaire » de la BCE passé au crible

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Article de Le Monde, du 22/01/2015

C’est une petite révolution dans le monde des banquiers centraux. Jeudi 22 janvier, après des semaines d’espoirs et de rumeurs sur le sujet, la Banque centrale européenne (BCE) a dévoilé les contours de son arme anti-déflation : le programme d’assouplissement quantitatif, ou quantitative easing en anglais (« QE »).

 

« Boom ! », « c’est une offensive monétaire inédite », « c’est Noël à Francfort ! » ont aussitôt réagi les analystes spécialistes de l’institution sur leurs comptes Twitter. Beaucoup, en effet, ne s’attendaient pas à une annonce d’une telle ampleur.

 

Les marchés financiers ont d’ailleurs accueilli favorablement cette annonce : les indices des bourses européennes ont grimpé d’un peu plus de 1 % en milieu d’après-midi. Et les taux d’emprunt de la France, de l’Espagne et de l’Italie ont atteint leurs plus bas niveaux historiques après les propos de Mario Draghi.

  • Que va faire la BCE ?

À partir du mois mars, la BCE va racheter des titres de dettes aux institutions financières de la zone euro, principalement auprès des banques. L’institut monétaire achètera, via les banques centrales nationales, des obligations souveraines (les emprunts des États), des titres privés (obligations sécurisées d’institutions financières) et des titres d’agences européennes.

 

Le montant de ces achats sera de 60 milliards d’euros par mois, au moins jusqu’en septembre 2016, soit plus de 1 000 milliards d’euros au total. C’est plus que ce qu’attendaient les analystes, qui misaient sur 500 à 750 milliards d’euros.

 

La BCE se garde la liberté de poursuivre les achats tant que l’inflation ne se redresse pas suffisamment. Les obligations des pays sous programme d’assistance de la Troïka (Fonds monétaire international, Commission et Union européennes), comme la Grèce, seront soumises à des critères supplémentaires.

  • Quel est l’objectif de ces rachats de dettes ?

Si les modalités de ce plan sont un peu techniques, l’objectif de Mario Draghi, le président de la BCE, est simple : il s’agit de lutter contre les pressions déflationnistes à l’œuvre dans l’union monétaire et de relancer la croissance. En décembre, les prix ont en effet reculé de 0,2 % dans la zone euro, bien loin de l’objectif d’une hausse de 2 %, fixé par son mandat.

 

« Elle n’avait pas le choix, elle devait faire quelque chose », commente Christopher Dembik, économiste chez Saxo Banque.

  • Comment Mario Draghi a-t-il répondu aux préventions allemandes ?

La bataille avec les Allemands n’a pas été facile. Ces dernières semaines, opposants et supporters du QE se sont ainsi livrés à une guerre des mots dans la presse allemande. Juste avant la conférence de Mario Draghi, jeudi, la chancelière allemande, Angela Merkel, qui était au Forum économique mondial à Davos, a encore tenu à rappeler que les décisions de la BCE ne devaient pas « faire dévier du chemin des réformes » les pays européens.

 

Si Mario Draghi a donc fini par l’emporter, il a toutefois pris soin de placer des garde-fous de nature à rassurer Berlin. Les Allemands sont en effet très réticents aux rachats de dette publique, les jugeant non seulement inefficaces, mais surtout dangereux. Ils redoutent en effet que cela n’incite les États les moins sérieux à renoncer à la discipline budgétaire, puisqu’ils auront la garantie que la BCE achètera leurs obligations, quoi qu’il arrive.

 

Par conséquent, les achats de titres publics seront réalisés sur la base de la participation des banques centrales nationales au capital de la BCE, où l’Allemagne et la France arrivent en tête. Ces achats ne favoriseront donc pas outre mesure les pays du sud de la zone euro face aux autres, comme le craignaient les Allemands.

 

De plus, 20 % seulement des titres achetés seront soumis à un partage des risques. Une mesure plus symbolique qu’autre chose. « Je dois dire que je suis surpris que ce point ait pris autant d’importance aujourd’hui, il ne devrait pas », a d’ailleurs balayé Mario Draghi. La décision de lancer jeudi un programme de rachats massifs de dette publique et privée a été prise « à une large majorité », a précisé le président de la BCE.

  • Quels sont les effets attendus de ces mesures sur l’économie ?

En théorie, le QE peut avoir plusieurs effets sur l’économie réelle.

 

– Le premier effet est psychologique : en montrant qu’elle prend le taureau par les cornes, la BCE espère influencer les anticipations des marchés en matière d’inflation et de croissance. Si les financiers et plus largement, l’ensemble des agents économiques ne croient pas au scénario

 

– Deuxièmement, en rachetant des titres souverains, la BCE entend également assurer des coûts de financement bas aux États, et ce pour longtemps. Ces titres rachetés par la BCE deviendront du même coup moins attractif pour le reste des investisseurs, qui seront alors poussés à se tourner vers des actifs financiers plus rentables, comme les obligations d’entreprises. Cela doit contribuer, si cela fonctionne, au redémarrage de l’activité.

 

– Enfin, en augmentant la quantité de monnaie en circulation (on dit qu’elle fait « tourner la planche à billets »), la banque centrale poussera le cours de l’euro à la baisse face aux autres devises – en particulier le dollar. De quoi donner un petit coup de pouce aux exportateurs européens.

 

Jeudi, sitôt l’annonce de Mario Draghi connue, l’euro est d’ailleurs reparti à la baisse face au dollar : à 15 h 10 à Paris, il est tombé à 1,1483 dollar, alors qu’il évoluait quelques instants avant autour de 1,1620 dollar et qu’il valait 1,1607 dollar mercredi soir.

 

En la matière, les entreprises françaises et italiennes, dont les produits moyens de gamme sont très sensibles aux prix, devraient être les premières à en profiter. Avec une nuance, tout de même : les marchés ayant largement anticipé le QE, la devise européenne a déjà reculé de plus de 10 % face au billet vert depuis l’été 2014.

  • Les mesures de la BCE peuvent-elles faire repartir la croissance ?

Si les analystes soulignent qu’il était important, face au recul des prix, que la BCE déploie cette nouvelle arme, ils sont en revanche partagés sur son efficacité. Aux États-Unis et au Royaume-Uni, où ce type de programme de rachat de dettes a été utilisé entre 2008 et 2014, cela a efficacement soutenu la reprise. Au Japon, où la banque centrale l’a lancé en 2013, son impact en revanche est très incertain : fin 2014, l’archipel est même retombé en récession…

 

Chez nous, son efficacité dépendra en grande partie du reste de la politique économique européenne. À savoir, des mesures que les pays membres entreprendront de leur côté pour soutenir la croissance.

Le plan d’investissement Junker et la plus grande flexibilité budgétaire que la Commission européenne a décidé d’accorder aux États seront un vrai plus. Mais il faudra tout de même des mois, et probablement des années, avant que la zone euro retrouve un niveau d’activité similaire à celui d’avant la crise.

 

« Le QE peut booster les marchés financiers, mais il ne réparera pas les faiblesses des banques, et ne se substituera pas aux réformes structurelles nécessaires ni au plan de relance par l’investissement », résument les analystes de RBS.

  • Quel sera l’impact de l’action de la BCE au quotidien pour les ménages européens ?

Dans tous les cas, le programme de rachat de dettes publiques annoncé par la BCE n’aura pas d’impact immédiat et direct sur la vie des Européens, et notamment des Français. Les effets ne seront ressentis qu’à moyen terme. Si le plan fonctionne et atteint ses objectifs.

La baisse de l’euro, la hausse des prix et surtout la reprise économique qui sont attendues doivent permettre aux salaires de repartir à la hausse. Elles doivent aussi contribuer à réduire le chômage.

 

Lien de l’article : http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/01/22/le-bazooka-monetaire-de-la-bce-passe-au-crible_4561760_3234.html